vendredi 15 février 2013

Faut-il brûler les féministes d'aujourd'hui ?




16 heures. Réunion du mouvement féministe pour des femmes sans problèmes.
- Bonjour à toutes. Comme chaque année, nous allons revoir notre planning sur nos grands sujets féministes pour lesquels nous combattons. C'est pas bien compliqué, on va reprendre comme d'habitude nos thèmes de prédilection donc on va faire une grosse session sur la violence conjugale pendant le mois de janvier, en février on parlera évidemment du combat décisif sur l'égalité des salaires hommes-femmes puis au mois de mars, on fera notre livre blanc sur la protection de la femme au travail. Fin mars, il y aura évidemment notre pot de fin d'année, vous inquiétez pas. Ah oui j'oubliais ! Murielle, une petite nouvelle, propose qu'on crée un groupe de réflexion sur la vision du corps de la femme dans la société. Alors Murielle, merci pour cette initiative qui démontre ton enthousiasme mais tant qu'il y aura une femme battue dans ce monde, on préfère se focaliser là-dessus et on voit pas bien le rapport entre ton idée et nos combats.

Les empêcher de penser

Cette scène fictive représente à mon sens l'utopie publique sur le féminisme d'aujourd'hui. On aimerait que les féministes ne s'occupent que des grands débats liés aux problèmes de la condition féminine en admettant que ces problèmes subsistent dans un vase clos, sans aucun lien avec d'autres facteurs. Si l'on prend par exemple le cas des femmes battues, les féministes doivent logiquement manifester contre (ce qu'elles font) mais elles devraient s'arrêter là, juste dire qu'elles sont contre. Si elles commencent à avoir des pistes de réflexion du genre "Mais pourquoi les femmes sont-elles battues ?", "Pourquoi certaines femmes admettent comme inévitable d'être battues ?" ou "Pourquoi les femmes battues ne portent-elles pas toutes plainte ?", là ça commence à partir dans tous les sens et à devenir chiant. Chiant comme du Beauvoir ou comme toute thèse de doctorat de quelqu'un qui a trop réfléchi à une question.

Parce que les féministes posent comme problème global la place de la femme dans la société en se basant sur des courants féministes, un histoire féministe, des concepts et des sciences. Elles s'interrogent et on aboutit alors à des réflexions du type "Est-ce que la galanterie peut être perçue comme une codification de la domination de l'homme sur la femme ?" On peut refuser de se séparer de la galanterie mais on ne peut pas refuser aux féministes de s'interroger sur ce genre de détail.

Les anciennes vs les nouvelles

J'ai également lu que les féministes d'aujourd'hui ne valent pas celles d'hier. Qu'avant elles avaient des causes nobles comme le droit à la contraception mais qu'aujourd'hui elles se perdent dans des détails sans importance. C'est le syndrome du C'était mieux avant. Cela n'a aucun sens car le Avant n'existe plus, il fait partie du passé. Vouloir faire comme Avant, c'est nier l'existence de l'évolution.

Le C'était mieux avant aime le passé sans vraiment s'y intéresser. Il paraît que les féministes d'aujourd'hui ne veulent plus se raser les jambes, en réalité ça fait plus de 40 ans qu'elles y pensent, à une époque qui est justement considérée comme l'âge d'or du féminisme par ceux qui le boudent aujourd'hui. Les années 70 ont vu naître de nombreux groupes féministes avec des idées plus ou moins radicales comme le féminisme lesbien (on a qu'à coucher entre filles comme ça ça leur foutra bien les boules) ou encore le féminisme marxiste (tout ça, c'est la faute du capitalisme), ça n'a pas empêché dans le même temps qu'elles se battent et obtiennent le droit à la contraception et l'avortement. Le féminisme est pluriel et cela ne date pas d'hier. Arrêtez de croire que les féministes d'aujourd'hui ne sont pas dignes de leurs grandes soeurs ou, si vous préférez, arrêtez de croire que les féministes d'hier étaient moins connes que celles d'aujourd'hui.

Communication, monde cruel

Observons ce phénomène particulier. Quand les féministes manifestent leur point de vue pour une cause largement partagée par tous, l'électroencéphalogramme des salles de rédaction reste plat. Quand les féministes manifestent leur point de vue pour une cause largement partagée par tous mais les seins nus, on commence à avoir une activité cérébrale du côté des salles de rédaction. Mais quand les féministes manifestent leur point de vue pour une cause qui jusque là n'avait jamais été perçue comme une entrave à la liberté des femmes, il semblerait qu'un sirène retentisse dans tous les salles de rédaction en hurlant "Polémique". Si en plus elles font ça les seins nus, c'est New High Score.

Le 14 février, il y a quelques jours donc, une manifestation mondiale contre la violence faite aux femmes a été organisée par l'auteure du Monologue du vagin. Qui en a entendu parler ?

Le cas du Mademoiselle, retournez à l'école maternelle

C'est comme ça qu'on a eu le droit récemment à deux polémiques du genre avec des questions de changement d’appellation. Un truc dont tout le monde se foutait, moi y compris. Jusqu'à ce que les féministes posent le doigt dessus en sachant pertinemment qu'elles allaient en contrepartie être taxées de folles hystériques avec du poil aux pattes. On va dire qu'elles commencent à avoir l'habitude.

Mais revenons à ces deux sujets sur lesquels je ne m'étais jamais interrogée avant que les folles hystériques avec du poil aux pattes ne s'en emparent. Mademoiselle est un joli mot, qui sent bon le Timotei et Eau Jeune (du moins à mon époque) mais Mademoiselle n'est plus un joli mot dès lors qu'on a passé la date de péremption et qu'il sent la crème anti-rides. Mademoiselle n'est plus un joli mot dès lors qu'une maîtresse de l'école de ma fille a passé ses 50 ans et que tout le monde se demande si c'est "une mal-baisée ou peut-être même une gouine". Aujourd'hui je ne m'offusque pas si on m'appelle mademoiselle (même si à mon âge, ça ne peut venir que d'un vil flatteur) mais mon regard sur ce mot a changé et j'ai effectivement réalisé qu'il y avait une injustice à ce que le Mademoiselle puisse faire état de ce qui se passe (ou pas) dans le lit des femmes.

Maternelle est aussi un joli mot (décidément !) que la députée Sandrine Mazetier voudrait détacher du mot école. C'est un cas intéressant parce que je n'ai trouvé aucune référence qui puisse rapprocher cette femme à un mouvement féministe cependant tout le monde s'accorde à dire que c'est le nouveau combat - idiot - des féministes (faudrait aussi qu'on s'interroge sur ce qu'est une féministe dans ce cas). Là encore, ça m'était largement passé au-dessus de la tête avant que cette femme ne fasse sa proposition. Je me suis donc interrogée sur ce mot et les situations dans lesquelles on le rencontrait. J'ai trouvé l'instinct maternel, l'assistante maternelle et (on m'avait aidée) l'école maternelle. D'un coup j'ai senti toute cette pression sur mes épaules, ce poids inconscient qui me destine à être prioritairement responsable de l'éducation de mes enfants, du moins dans leurs premières années de vie. Et le père, celui que je considère comme mon égal et aussi qualifié que moi pour s'occuper des enfants, il est où dans tout ça ?

Ces deux interventions "féministes" sur une question lexicale me ramènent à cette polémique des années 80 sur la féminisation des noms de métier. On a crié au scandale, au ridicule et à la mort de la langue française quand on a proposé de féminiser certains métiers comme auteure ou ingénieure. Aujourd'hui ces mots ne me choquent plus et je les utilise pour dire "Oui ma fille, si tu veux quand tu seras grande tu seras une ingénieure", parce que si je dis un ingénieur, elle va encore me dire que je veux lui faire faire des trucs de garçons. Rappelons que l'Académie Française condamne toujours l'utilisation de ces mots.

Combat contre leur gré

Le vrai problème des féministes, c'est qu'ils prennent la parole pour un groupe, les femmes, totalement hétérogène. Et que pour corser le tout, les féministes eux-mêmes constituent un groupe totalement hétérogène. Du bordel sur du bordel, ça ne fera jamais un truc très clair, c'est scientifiquement prouvé. D'ailleurs ça marche pour tout groupe, les syndicats, les partis politiques, les religions, les associations, les entreprises,etc. Ça marche même pour une copropriété de 10 personnes (ça c'est mon vécu).
On ne peut pas reprocher aux féministes des incohérences et des prises de positions contradictoires alors que cela est inhérent à tout groupe. A moins que .... vous voulez dire que ce sont des femmes donc elles sont mieux organisées ?

Et les hommes ?

Mais le pire reproche qu'on puisse faire aux féministes, c'est de leur dire que leurs combats n'intéressent pas les hommes. D'abord on en sait rien : c'est vrai que je n'ai jamais rencontré d'homme féministe engagé mais faut dire aussi que je n'ai jamais non plus rencontré de femme féministe engagée (dire que j'écris un pavé sur des gens qui n'existent peut être même pas, je me sens mal). Et puis derrière tout ça il y a surtout cette idée que si les hommes ne prennent pas part à ces débats, ça démontrerait toute l'idiotie du truc. Oh Wait ! Tu serais pas en train de sous-entendre que s'il n'y a que des femmes pour en parler, ça confirme qu'il s'agit d'un sujet superficiel et non digne d'intérêt ?

En conclusion, si on brûle les féministes d'aujourd'hui alors qu'on brûle aussi les sopalins (OK, j'avoue, j'avais pas de conclusion).

6 commentaires:

  1. PUNAISE si t'étais en face de moi je te sauterais dessus et je te roulerais un patin! (et pourtant dieu sait que je suis hétéro)

    merci merci merci

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    1. @Nina
      Ah merci, je me sens moins seule ... mais t'approche pas trop de moi non plus :D

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    2. Bon, ok, ok, un p'tit bécot sur la joue alors

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    3. @Nina
      Avec plaisir, et c'est vrai que ça me fait vachement plaisir ;)

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  2. L'illégitimité qui pèse sur le féminisme aujourd'hui, franchement, j'en peux plus !! C'est limite devenu une insulte "féministe" aujourd'hui, comme si c'était un combat d'arrière-garde, alors qu'il y a encore tant à faire encore...

    Tu vois, ça me fait penser à la lutte contre le racisme, qui a été mené de manière très volontaire, on a dû mettre les français le nez dans les faits (discrimination des CV, contrôle policier, boîtes de nuit) pour que les gens réalisent que oui, ça + ça + ça, égal racisme. Que oui - et je rejoins là les questions de vocabulaire - c'est peut-être insignifiant au premier abord, mais un gâteau qui s'appelle 'tête de nègre', ça participe à un certain regard méprisant...

    Ben voilà, il y a des discriminations généralisées à l'égard des femmes, tellement implicites que tout le monde ne le les réalise pas, "c'est comme ça","c'est la nature", hein !

    Alors, oui, il faut mettre le doigts sur des détails - tous ces détails ajoutés qui deviennent signifiants - et oui, il faut des actions qui marquent les esprits !

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    1. @Anacoluthe
      Oui même l'insignifiant signifie quelque chose. Et oui c'est usant de toujours devoir le justifier.

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