Je n'ai jamais connu l'Afrique

Hier, j'ai lu un livre, ça s'appelle "L'Autre Moitié du Soleil" de Chimamanda Ngozi Adichie (990ème livre de la liste)

Dîner entre amis.
- Je suis en train de lire un livre sur le Biafra, vous connaissez ?

- Oui, le Nigeria, la guerre du Biafra et la famine. Evidemment !

Voilà comment, en toute franchise et bien involontairement, je me mets en situation d'idiote dont les préoccupations se limitent à des faits qui ont lieu dans un rayon de 5 kilomètres à la ronde. Je ne connais pas la guerre du Biafra mais je sais que ma voisine s'est fait visiter sa voiture samedi dernier. Voilà pourquoi je ne joue jamais au Trivial Pursuit avec des inconnus, à moins qu'on ne consente à créer des équipes, et que les questions portent sur mon voisinage.

Je pourrais me dire que je choisis bien mes amis mais ça sous-entendrait qu'eux en sont incapables. On va donc arrêter là l’auto-flagellation, d'autant plus que cela n'a aucun intérêt dermatologique.

Après avoir lu deux livres plutôt tournés vers l'intérieur, j'étais ravie de pouvoir me consacrer à un ouvrage totalement ouvert sur l'extérieur. 

Lagos, les années 60, le Nigéria, la tribu des ibos, le kwarshiorkor, la république indépendante du Biafra. Tout ceci a réellement existé. En ouvrant ce livre, vous plongez dans l'Histoire et alors l'expression Tourner la page n'a jamais aussi mal convenu. En fait plus j'en tournais et plus je voulais en connaître davantage sur ce pays et cette guerre, celle qui pour la première fois a rendu médiatique les famines du Tiers-Monde.

"C'était comme s'il saupoudrait du piment sur sa plaie : des milliers de Biafrais étaient morts et cet homme voulait savoir s'il y avait du nouveau sur la mort d'un Blanc. Richard écrirait là-dessus, sur cette règle du journalisme occidental : cent Noirs morts égalent un Blanc mort."

Cependant il serait inopportun de le considérer comme un témoignage de l'époque. En consultant d'autres sources, j'ai cru comprendre que cette guerre était beaucoup plus complexe que ce que laissait transparaître le livre. Il faut d'abord retenir le côté romanesque de L'Autre Moitié du Soleil, sa petite histoire imbriquée dans la grande.

Olanna et Kainene sont soeurs jumelles, filles de bourgeois nigérians. Elles ont fait leurs études à Londres, travaillent, ne cherchent ni à se marier, ni à avoir des enfants. Elles sont libres des contraintes normalement liées à leur culture et à leur statut social. Olanna choisit ainsi de vivre avec Odenigbo, un universitaire exalté tandis que Kainene prend comme amant Richard, un anglais qui, comme tout converti à une nouvelle culture, prend les choses à coeur. Mais le début de ce roman commence avec Ugwu, le domestique qui vient prendre son service chez Odenigbo. Il est la parole populaire de ces autres personnages qui évoluent dans la haute société nigériane. Et puis il y a la guerre, et le fait que ces cinq-là font partie de ceux qu'il faut détruire et réduire au silence.

Ce livre est singulier dans le sens où ces personnages ne s'expriment que très peu sur leurs sentiments. Leur caractère s'observe à partir des actes qu'ils commettent et des épreuves qu'ils traversent. Il y a des pudeurs bien placées.  Là est sans doute la maîtrise de cette écrivaine (née en 1977, mon dieu que je suis vieille !) qui réussit à toucher en faisant semblant d'effleurer.

Je n'ai jamais connu l'Afrique et pourtant je viens d'y poser un pied.

L'ONG Médecins sans frontières est née suite à la guerre du Biafra en 1971 par des médecins français (dont Bernard Kouchner) qui sont venus porter secours aux victimes de la guerre.