jeudi 28 février 2013

La reine des hystériques


Hier j'ai lu un livre, ça s'appelle "Blanche et Marie" de Per Olov Enquist (979ème de la liste)



Le procédé littéraire de ce roman est pour le moins surprenant. Per Olov Enquist invente un tout autre destin à Blanche Wittman, surnommée "La reine des hystériques". Partant d'un fait réel, son séjour à la Salpêtrière en tant que patiente "favorite" du Docteur Charcot, il l'associe à des évènements tout à fait fictifs. A sa sortie et après la mort du docteur Charcot, elle deviendra donc l'assistante de Marie Curie et finira amputée des deux jambes et d'un bras suite à la manipulation répétée du radium. Enfin, l'auteur nous incite à croire qu'elle aurait écrit de nombreux carnets ayant pour objet de répondre au pourquoi et au comment de l'amour à travers son expérience personnelle. Mais le plus surprenant, c'est que ce roman prend une forme inachevée. Il ne s'agit pas ici d'un récit mais d'une base de travail romanesque. C'est comme si l'auteur nous livrait ses réflexions sur les livres des questions de Blanche, d'où les nombreuses répétitions et les numéros attribués à certains paragraphes tels des annotations.

Per Olov Enquist est, parait-il, familier de ce genre de procédé qu'on qualifie de roman du mouvement documentariste suédois. On juge parfois à tort que des termes tels que "roman du mouvement documentariste suédois" ne laissent présager une obscure nébuleuse. Et parfois, on a raison. En gros les termes de "roman du mouvement documentariste suédois" veulent bien dire ce qu'ils laissent sous-entendre. Il m'a fallu de l'acharnement pour tenir les 150 premières pages et enfin démêler les fils du raisonnement. 

On est où là ? Dans la réalité ? La fiction ? La réalition ? La fictalité ? Apportez-moi une aspirine ! (vous en voulez peut-être aussi ?) Même si le roman n'a jamais eu pour ambition de décrire la réalité, cette manière de procéder nous amène continuellement à vouloir débusquer le vrai dans le faux.

Un livre d'amour

Passé les 150 premières pages, on découvre que ce livre met en parallèle deux histoire d'amour : l'une inventée entre Blanche et le Docteur Charcot et l'autre réelle entre Marie Curie et Paul Langevin, célèbre physicien français. C'est cette dernière m'a le plus touchée peut être parce que cette histoire tragique a vraiment existé mais surtout parce qu'elle est tragique. Certains passages sur l'amour ont la grâce touchante des réflexions universellement partagées.

C'est si douloureux qu'elle soit si près. L'inaccessible ne devrait pas se trouver à portée de main.

Un livre féministe

Ce n'est qu'en refermant le livre que m'est apparu toute cette dimension féministe. On a d'un côté le témoignage de Blanche sur l'hôpital de La Salpêtrière, une forteresse dans laquelle on enfermait toutes les femmes qui, selon l'époque, avaient été troublées par l'amour (les épileptiques, les hystériques, etc) mais aussi toutes celles qui étaient de trop et qui n'avaient plus de protecteur. La description qui semble coller à ce qui a vraiment existé met en évidence la façon dont on considérait à l'époque les femmes comme un territoire inconnu et dangereux.

C'est là qu'elles furent conduites, Blanche, Jane et les autres six mille ombres gorgées d'un sang bouillonnant qui se croyaient encore des êtres humains.

De même l'histoire entre Marie Curie et Paul Langevin met en lumière l'injuste traitement d'une femme ayant une liaison avec un homme marié au début du 20ème siècle. Ce scandale sera traitée avec une rare violence par la société française : publication des lettres d'amour dans la presse, le conseil des ministres discutant du cas pour savoir si Marie Curie ne devrait pas quitter la France, silence total de la France lors de l'obtention de son deuxième prix Nobel, etc. Marie Curie devra alors fuir plusieurs fois Paris pour protéger ses filles de cette haine.Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, dans le roman (car je ne sais pas si c'est réellement le cas) Marie trouve refuge à Londres parmi les suffragettes.

C'était la première fois que quelqu'un recevait un deuxième prix Nobel. Pas un mot sur cette distinction dans la presse française. La honte ! La honte qu'une dépravée ait brisé une famille française, et la honte aussi pour la France qu'un chercheur "français" ait reçu un prix Nobel dans ces conditions répugnantes !
Il valait donc mieux le taire.

5 commentaires:

  1. @Lili
    Disons qu'il faut réussir à rentrer dedans et le style lui-même s'éclaircit à peu près à la moitié du roman. Finalement je suis contente de m'être accrochée, parfois les romans ne se laissent pas apprivoiser aussi facilement :)

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  2. Intéressant, féministe, original... Je me note cela et te remercie pour cette découverte !!

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    1. @Vive la rose et le lilas
      "Intéressant, féministe, original" Voilà qui résume bien ! N'hésite pas à revenir une fois que tu l'auras lu pour me tonner tes impressions !

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  3. Je l'ai fini la semaine dernière et ne sais pas trop comment commencer ma chronique... bien compliqué à saisir ce livre !
    Je suis tout à fait raccord avec ton avis en tout cas !

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