mardi 19 février 2013

Les gens qui vont au théâtre sont-il des gens comme les autres ?


A 10 minutes à pied de chez moi, il existe l'un des théâtres les plus réputés de France, en fait je ne devrais même pas dire un théâtre mais plutôt un "thé-ÂÂÂ-tre". Il s'agit du TNP, le Théâtre National Populaire. D'abord implanté à Paris, il a été transféré dans ma ville dans les années 70. Son concept est somme toute assez simple, il s'agit de faire du "théâtre élitaire pour tous". Déjà ça commence bien, je ne savais même pas que le mot élitaire existait, même la définition est élitiste, pour vous dire le délire.

Pour ne pas mourir idiote - alors que ça ne veut rien dire, quand on meurt, idiot ou pas, je suppose que l'étendue de nos connaissances ne nous aide pas beaucoup - j'ai offert à mon mari des places pour des pièces jouées au TNP. Il ne restait déjà plus beaucoup de choix parmi la programmation de la saison et j'ai donc choisi un peu à la pique-nique-douille selon les dates qui pouvaient nous convenir.

C'est ainsi que le soir de la Saint Valentin, mon mari et moi sommes donc sortis sans les enfants, bras dessus bras dessous, pour voir la pièce "Fin de partie" de Samuel Beckett. Sur la route nous conduisant au théâtre, nous étions encore stupéfaits par notre liberté d'adultes sans enfants.

J'ai dit "Ah ! Nous voilà vieux, nous allons au thé-ÂÂÂ-tre ce soir"

Mais non, nous voilà jeunes ! Dans les couloirs du bâtiment, nous rencontrons des brushings violacés et des pardessus- chapeaux-écharpes manifestement coincés dans l'espace-temps mitterrandien, agissant sur nous comme une cure de jouvence. Hélas, l'effet s'efface dès que l'on s'installe dans la salle et que l'on aperçoit les jeunes, les vrais, avec un trop-plein de cheveux et de chèches. Installés en plein milieu de la salle, nous réalisons que nous sommes prisonniers et qu'aucun échappatoire - à part le sommeil - ne sera possible. L'angoisse commence.

Mais le rideau s'ouvre. Sur une pièce entièrement grise avec pour seules ouvertures deux fenêtres minuscules se faisant face ainsi qu'une porte sans porte. Au centre, un grand drap légèrement tâché de sang semble cacher un fauteuil immense et, on le devine, un être humain. Au premier plan, deux poubelles identiques font office de mobilier.

Un bossu inquiétant à la démarche désarticulée fait son apparition par la porte sans porte. Il déambule à travers la pièce, se met à l'inspection de chaque élément en concluant à chaque fois par un rire bref et malsain.

Après cette étrange chorégraphie, le tordu-bossu s'adresse enfin à nous et déclare :

"Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir »



Je n'ose même pas regarder mon mari,de peur d'avoir à affronter un regard suppliant et plein de reproches "Te rends-tu compte que l'on va gâcher 1H40 de notre vie ?"

Et puis - Oh comme c'est cliché  ! - la magie du théâtre a opéré. Contrairement au papier, à la pellicule, au numérique, le théâtre abolit toute distance pour vous ancrer dans une réalité faite de chair, d'os et de sang; c'est un grand monsieur qui vous regarde et vous pointe du doigt en annonçant "Ecoute bien ce que je vais te dire".Impossible d'y échapper à moins de faire preuve de grossièreté. Il faut alors accepter d'être imprégné par tout ce vivant.

Je serais bien incapable de vous résumer "Fin de Partie" de Beckett, qu'on qualifie de théâtre existentialiste, qu'on peut qualifier de théâtre exigeant. Mais l'expérience fut forte, vibrante, dérangeante, irréelle dans sa réalité.

Alors au lieu de se demander si les gens qui vont au théâtre sont de gens comme les autres, on devrait plutôt se pencher sur la question suivante :

"Les gens qui reviennent du théâtre sont-ils des gens comme les autres ?"

8 commentaires:

  1. Je ne suis pas une grande intello et je ne vais pas souvent au théâtre, mais Beckett, je kiffe. Sinon, j'ai aussi un grand souvenir des Chaises de Ionesco au Théâtre de la Colline à Paris, c'était grand. ET pas vieux. Car je ne suis pas vieille vous savez...

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    1. @Léonie Canot
      Je pense que le théâtre d'auteur est sans doute l'art le plus difficile à intégrer dans la culture pour tous, il est encore entouré de cet aura élitiste (élitaire ? je ne sais plus maintenant). Les gens ont peur de ne rien comprendre et de s'emmerder. En plus dans fin de partie, l'un des sujets traités est la fin de vie : il y des longueurs mais c'est voulu comme s'il voulait nous faire partager le sentiment d'un vieillard qui trouve le temps long.
      Et non on est pas vieilles, on est entre-deux, mûres mais pas blets (le meilleur quoi !)

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  2. Fin de partie un 14 février, c'est encore plus "téméraire téméraire" que mes Fraises Sauvages un 31 décembre... (hum, s'auto-citer, c'est un truc à finir en écharpe rouge mitterrandienne, ça !)

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    1. @Jean-Charles de l'Anacoluthe (tu vois, je n'ai pas oublié)
      Moi je crois que c'est kif-kif bourricot et bonnet blanc et blanc bonnet. Et puis cette pièce parle quand même de l'amour de la vie, peut-être absurde mais de l'amour quand même :)
      Tu as le droit de toutes les auto-citations que tu souhaites ici mais t'étrangle pas avec l'écharpe, s'il te plait ;)

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  3. Belle question, mais comme j'ai aimé beckett sur scène. Le théâtre du rue m'enchante également. Mais comme les planches me manquent soudain, sous les pieds !

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    1. @Lutecewoman
      Je vois qu'ici je suis la dernière à avoir becketter, je ne vaux pas mes lecteurs :) Du coup j'ai bien envie d'initier ma fille dès qu'elle sera en âge, qu'elle s'ouvre avant moi à cet univers.

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  4. Je reconnais bien là ton courage, tu pars à la découverte, tu flippes, pis finalement tu aimes, et tu racontes, véritable Marca Pola des temps théâtraux du siècle numéro 21...

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    1. @La vie en presque rose
      Exactement, j'ai l'impression d'être revenue d'un long voyage ! :)

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